Rêver debout

Univers personnel d’une blog-trotteuse. Contact : aurelie[at]reverdebout.com

Revenir avril 10, 2007

Filed under: Corée du Sud — reverdebout @ 11:00

« Le voyage est une suite de disparitions irréparables » – Paul Nizan

Le monde est devenu un village. Grâce aux compagnies low cost, aux informations sur internet, aux réseaux de voyageurs, partir loin l’a plus rien ni d’une aventure ni d’un luxe inaccessible. Le Voyage est devenu une sorte de consommation. On consomme du dépaysement, on fait le plein de photos, de visites, d’artisanat traditionnel, on profite et on stocke de quoi se replonger dans le rêve un peu plus tard.
Les voyages sont souvent propices à des rencontres intenses mais courtes. Avoir un vrai coup de foudre pour une personnalité n’est pas rare. On passera une bonne soirée autour d’une bière et peut-être quelques jours ensembles. Relation éphémère puisque chacun n’est que de passage. Sans savoir l’expliquer, ces petits bonheurs éclair m’ont toujours remplie de tristesse. Monter dans un bus, rendre une clé d’hôtel, échanger ses mails en sachant qu’on écrira sûrement pas, classer ses photos en pensant déjà au prochain voyage. Prendre et s’en aller a quelque chose de douloureux.

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2046 ?…non, Cheongju en 2004

Une amie d’enfance m’avait fait découvrir la Corée il y a 5 ans : premier vol long courrier, premiers pas en Asie, premier grand voyage. Avec du recul, je me suis aperçue que cet épisode avait largement influencé mes goûts et mes choix d’aujourd’hui. Quelques destinations et quelques années plus tard, l’envie de retourner en Corée du Sud s’est faite sentir. Je voulais écrire une suite aux rencontres que j’y avais faites, confronter mes souvenirs à une réalité en évolution, retrouver des odeurs et prendre le risque d’être déçue.

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Tony Leung ? …non, le frère d’En-Jung – photo : sébastien rambour

J’ai retrouvé en Corée tout ce que j’y avais aimé : une certaine élégance, une profonde culture du respect et un grand dynamisme économique. J’ai apposé un épilogue aux rencontres d’il y a 5 ans et déromantisé les lieux où j’étais passée. Je suis allée un peu plus loin dans la connaissance de l’histoire de ce pays, de ses traditions, de sa langue, pour y tisser des liens un peu plus forts et y enfoncer quelques racines. Et pour une fois, je ne me suis pas sentie « de passage ».

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In the mood for love ? …non, marché de Tchitchiwan

 

Une femme coréenne

Filed under: Corée du Sud — reverdebout @ 10:59

film d’Im Sang-Soo, sorti le 30 mars 2005, sélection officielle à la 60ème Mostra de Venise
« Une femme coréenne est l’histoire de ma vie, celle de ma femme, celle de ma famille, celle de mes amis. » affirme le réalisateur, « Cette génération [celle des années 80] a été la première à profiter d’une Corée nouvellement démocratisée, et de l’émergence du féminisme. […] Le problème est que la Corée n’avait qu’une vague connaissance de ces valeurs que sont la démocratie et le féminisme, et qu’aujourd’hui les Coréens ont du mal à mettre en pratique ce qui n’était que de lointaines théories. Cette génération s’efforce d’être heureuse, mais se heurte à la difficulté d’appliquer son nouveau statut de génération libre. »

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Comme une plume. Légère et gracile, les femmes coréennes arpentent à petits pas légers les trottoirs de Séoul. Elles tiennent parfois le bras d’une amie pour une séance de shopping nocturne au marché de Dongdeamun. Elégantes, les codes de beauté sont encore marqués par une certaine idée de la féminité : discrète et classique.

Elles rient en se cachant les lèvres. Derrière ce geste anodin, c’est tout une culture qui se révèle. La femme doit s’effacer et être expressive est presque « vulgaire ». Quid des nouvelles générations ? Une envie de sortir des codes ? La jeune femme coréenne n’a plus tellement envie d’être une mère de famille respectable au service de son mari. Elle rêve de son autonomie, de faire des études et d’avoir sa propre carrière. Le taux de natalité en Corée, un des plus faibles mondiaux (inférieur à 10 pour 1000 habitants), est un souci du gouvernement. Un enfant coûte cher et très peu de structures de garde existent. Etre mère signifie bien souvent rester à la maison et ça, beaucoup de jeunes femmes n’en veulent plus. Ainsi, les dernières années ont vu apparaître de nombreuses femmes célibataires, normalement rarissime, qui ont payé le prix fort pour leur liberté et leurs choix professionnels.

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Certaines, à l’opposé, voient vite leur avantage à devenir une parfaite ajuma (femme au foyer). La vie à la maison est devenu plus simple. Le kimchi s’achète tout prêt ! en 2007, on a plus d’électroménager pour moins d’effort. La maison n’est plus une forteresse coupée du monde grâce par exemple à Internet et la télévision avec de multiples chaînes étrangères. Souvent, le déjeuner et l’après-midi se passe entre copines. On prend sa Hyunday toute neuve, et hop! un déjeuner près d’une rivière suivi d’une ballade dans le parc naturel à quelques kilomètres de la ville.

Naître garçon n’est pas plus facile ! pression pour devenir un parfait chef de famille, dure compétition dans les études et dans la carrière professionnelle… Les frontières des responsabilités se gomment, les jeunes hommes aident aux tâches ménagères et le style androgyne a plus de succès que le macho viril. Mais la génération précédente veille au grain et il est parfois difficile de composer avec nouveau style de vie, nouvelles aspirations et tradition.

 

Un orage sur la plage

Filed under: Corée du Sud — reverdebout @ 10:58

Je n’avais même pas remarqué la plage que je découvrais maintenant, très longue et de couleur grise. Sur cette plaine de sable déserte, longeant le bord de la mer, je repérais les traces d’un oiseau et les empreintes des pieds d’une seule personne. Au bord de l’eau, je suivis les traces distinctes et profondes de hauts talons. L’hôtel que j’avais quitté paraissait maintenant tout petit. C’est à ce moment que je vis, surgissant derrière un rocher, un minuscule point noir qui venait lentement en ma direction : c’était ma femme.

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réalisée sans trucage – photo : sébastien rambour

Je venais de refermer sur ces dernières lignes le livre de la coréenne Jung-Hi Oh, L’âme du vent. Le bus était arrivé à son terminus, la plage de Deachon. Le trajet depuis Teajon avait été ensoleillé. A travers les vitres, j’avais regardé défiler les plaines, les yeux plissés par la luminosité, somnolant à demi, bercée par une douce chaleur. Mais à peine descendue que déjà le ciel s’assombrissait dangereusement. En quelques minutes, un vent violent s’est réveillé, amenant tempête, pluie et grondements d’orage.
En été très fréquentée, Deachon reste en sommeil le reste de l’année. Quelques couples à la recherche de la solitude sont venus comme nous y trouver un souffle de nature. Comme En-Sou dans mon livre, les femmes sont en hauts talons et laissent le vent agiter leur crinière. Comme dans l’histoire, l’air y est dramatique, presque fantastique, mélancolique. Nous sommes restés sur la plage jusqu’aux premières gouttes, défiant le ciel en colère, pour écouter les vagues se fracasser, entendre nos semelles frotter le sable et sentir le vent cingler nos lobes.
On a fini par se réfugier dans un restaurant de poisson cru qui donne sur la plage. Du premier étage, la pluie battante sur les vitres, le ciel devenu nuit noire et la mer déchaînée furent un spectacle magique. Une heure plus tard, le soleil perça et tout redevint lumineux. De jeunes Coréennes à nouveau couraient sur le sable en talons hauts et riaient en ramassant des coquillages.